Dokumentuaren akzioak
Toutes les couleurs de la danse basque
Quelle est cette musique qui monte de la place du marché, à Biarritz ? Le 19 septembre dernier, cinquante danseurs de la compagnie Maritzuli, préparés parle chorégraphe Claude Iruretagoyena, y pressent leurs costumes chamarrés pour exécuter une Ezpata Dantza, danse de groupe itinérante.
Adultes et enfants sont venus incarner le passage du jour à la nuit, de l’été à l’automne, avec leurs masques à double face – l’une blanche, l’autre noire – surmontés de plumes, fleurs et rubans. Loin de la curiosité folklorique, ce rite revêt ainsi un sens atemporel caché à de nombreux spectateurs.
Une tradition à transmettre
La 25e édition du festival « Le temps d’aimer » présentait cette année, entre autres danses, le travail de plusieurs talents du pays : les compagnies Maritzuli et Kukai, ainsi que le chorégraphe Mizel Théret.
Il serait vain de comparer ces artistes pour les classer – tels des papillons morts – sur l’échelle de la tradition et de la modernité. Claude Iruretagoyena est lui-même las d’avoir à se positionner : « La mode est au rafraîchissement : pour attirer le public, il faudrait ’’dépoussiérer’’ les danses traditionnelles, observe cet artiste sensible. Mais nous, nous avons décidé de faire et de transmettre ce que nous connaissons. On peut sublimer sans transformer. Les pas les plus simples peuvent émouvoir aux larmes. »
> Lire aussi Jean-Paul-Montanari (Montpellier Danse) : « Ce qui m’intéresse, c’est l’avenir de la danse »
Le Pays basque français compte une quarantaine d’associations de danses traditionnelles, cumulant 3 000 inscrits de tous âges. « Soit un habitant sur cent, sans compter tous ceux qui les pratiquent de façon récréative lors des fêtes », précise Pantxoa Etchegoin, directeur de l’Institut culturel basque (ICB). Malgré cette vitalité apparente, Roger Goyhénèche, président de la fédération de la danse basque, estime que cette dernière est « en souffrance ». Il tâche, avec d’autres passionnés, d’en rénover la transmission et la place dans la création actuelle.
Une histoire de longue date
Peut-être est-ce moins la danse basque que sa méconnaissance qui mérite d’être dépoussiérée. Pour cela, poussons jusqu’à la crypte de l’église Sainte-Eugénie, où une exposition conçue par l’ICB permet de découvrir son histoire, sa symbolique et ses héritiers. Intitulée « Soka » (du nom de la danse en chaîne qui se pratique dans tout le Pays basque), elle prend la forme d’un parcours animé de 300 vidéos et illustrations. Certaines sont inédites, comme les magnifiques photos de Robert Capa à l’été 1951, saisissant la vivacité d’une danseuse aux pieds nus ou un saut suspendu.
L’histoire du répertoire basque se révèle au fil des siècles marquée par un double phénomène de préservation et d’intégration d’influences extérieures. Il apparaît que certaines danses remontent au XVIIe siècle, et que nombre d’auteurs admiratifs, parmi lesquels Voltaire et Pierre Loti, les commentèrent. Sous le règne de Louis XIV, le ballet de cour intégra des danses dites de Basque. Un enfant du pays surnommé « Tartas » rejoignit même les ballets du roi. En 1870, on écrivit de lui qu’il « justifia d’une manière éclatante la réputation d’agilité acquise à ses compatriotes ». Le « pas de Basque » et « saut de Basque » figurent par ailleurs dans la nomenclature de la danse classique.
Toutes les composantes font sens
Dans ces danses – espaces de cohésion, de régulation mais aussi d’émancipation –, tout est signifiant, de la couleur des costumes aux rythmes, en passant par l’ordre des participants. Il y a quelques décennies encore, figurer à la tête d’une chaîne de danseurs était une marque de prestige social. Les enfants de métayers ne pouvaient prétendre aux mêmes places que ceux des propriétaires terriens. Et si les autorités civiles et religieuses « ont longtemps essayé de chasser les danseuses de la place publique », une étude plus approfondie des chansons et de l’iconographie révèle que certaines menaient parfois la danse, y compris au XVIIIe siècle.
Plusieurs témoignages illustrent également les féroces disputes théologiques que suscitèrent ces réjouissances populaires. Certains hommes d’Église les condamnèrent indifféremment, tandis que d’autres s’essayèrent à d’étranges classements de respectabilité.
La pudeur comme constante des danses basques
Au milieu du XXe siècle, dans des villages saignés par la Seconde Guerre mondiale, mascarades et pastorales souletines, cavalcades bas-navarraises et carnavals labourdins connaissent un essoufflement. Mais l’émergence de troupes à succès, comme les Ballets Olaeta, portés par le grand maître Segundo Olaeta à Biarritz, où il s’était réfugié, fuyant le franquisme, impulsent une nouvelle dynamique. Leur fondateur formera plusieurs figures de la danse basque, parmi lesquelles Philippe Oyhamburu et Jean Nesprias.
Troisième grand nom, décédé en 2014, Koldo Zabala livre dans une vidéo le dénominateur commun de toutes les danses basques : la pudeur. Si le danseur fait démonstration de sa force et sa technicité, sa tête ne bouge pas. La retenue est de mise.
« Vu de l’extérieur, l’attachement identitaire des Basques pour leur danse peut parfois paraître excessif. Mais si on y regarde de plus près, on ne peut qu’être impressionné et leur donner raison, surtout en ces temps de mondialisation, où les troupes ont tendance à perdre leur identité pour toutes danser la même chose », estime le chorégraphe Thierry Malandain, né dans Seine-Maritime et directeur du centre chorégraphique national (CCN) de Biarritz depuis sa création en 1998.
Un vocabulaire chorégraphique bien particulier
L’artiste reste marqué par l’enterrement du danseur Koldo Zabala. « Sa troupe a dansé devant l’autel pendant la messe, puis réalisé un ‘‘aurresku’’, un hommage, autour de son cercueil. Je n’avais jamais vu ça et en ai été très ému. Ces danses rituelles ont un sens toujours actuel. » Depuis son arrivée au Pays basque, Thierry Malandain a été plusieurs fois incité à honorer cet héritage dans une création. « Mais je m’y refuse, car il y a tout un vocabulaire que je n’aurais pas le temps d’acquérir convenablement. Ce serait artificiel », balaye-t-il. En revanche, le CCN accueille et soutient financièrement plusieurs compagnies locales.
Notamment celle de Claude Iruretagoyena qui, pour garder ces danses toujours vivantes, organise des « spectacles conférences » et place l’enfant au centre de ses activités. « Non en tant qu’enfant, mais en tant qu’artiste », précise-t-il, dans son atelier où s’entassent des centaines de costumes, des kilomètres de tissus et des milliers de boutons et grelots. Le chorégraphe adapte sa pédagogie pour encourager les jeunes recrues à ne pas abandonner. « À douze ans, on ne danse plus pour ses parents, mais pour s’accomplir. Il ne doit plus être question de ‘‘cours’’, mais de ‘‘résidences d’artistes’’. Il faut offrir de nombreuses occasions de se produire. Ces années sont cruciales. »
Sa stratégie a porté ses fruits avec son propre fils, Jon, âgé d’aujourd’hui 30 ans. « J’avais trois ans en 1988 quand j’ai vu, dans le spectacle Zortziko de Juan Antonio Urbeltz, des femmes chanter en accomplissant la danse Irradaka, inspirée des gestes des semailles », se souvient ce dernier. C’est ce moment très fort et l’admiration que j’avais pour les danseurs plus âgés qui m’ont donné envie de suivre cette voie. » Il est depuis devenu permanent dans la compagnie de son père, a dansé pour Urbeltz et souhaite à son tour devenir un passeur.
MARIE SOYEUX (à Biarritz)
Exposition « Soka » dans la crypte de l’église Sainte-Eugénie jusqu’au 11 octobre (de 14h à 19h, tous les jours sauf le mardi). Entrée libre. Rens. 05.59.93.25.25 et www.soka.eus
Dokumentuaren akzioak