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Festival de danse de Biarritz : entre passé savoureux et médiocre présent
Le festival a traduit la difficulté d'attirer l'oeil sur le grand répertoire classique et néo-classique, souvent taxé de ringard. Par Raphaël de Gubernatis.
Théâtre improvisé
A Biarritz où une vingtaine de compagnies de danse, grandes et petites, ont été invitées lors du festival de danse qui s’y est déroulé et qui s’est achevé, dimanche 18 septembre, en beauté avec les Ballets de Monte Carlo, certaines d’entre elles sont amenées à présenter en matinée, en plein air, face au théâtre de la Gare du Midi, des extraits de leur spectacle du soir pour séduire le public. D’autres, d’intérêt "local", et qui trouvent là l’occasion de se faire voir, servent à animer les promenades, les places qui bordent l’océan ou qui se nichent au cœur de la ville.
Et là, le plus plaisant ne tient généralement pas au spectacle proprement dit, mais à celui de la foule qui observe les ébats et s’agglutine de façon pittoresque sur les terrasses, les rampes, les chemins, les balcons, en composant un extraordinaire théâtre de plein air, une salle insolite et démesurée avec ses galeries, ses loges, ses parterres.
23.000 spectateurs
Depuis le temps qu’il existe, le Festival de Danse de Biarritz a fait son nid dans la cité balnéaire. Il a touché l’an dernier quelque 23.000 spectateurs, ce qui est tout à fait considérable pour une ville qui recense 31.000 habitants permanents.
Autochtones ou estivants, ces spectateurs constituent un public sage, peu aventureux, pour qui la danse classique et ses dérivés néo-classiques demeurent la référence absolue. Ou un public qui n’a pas de références du tout.
Pas de Bataille d’Hernani
Avisé et prudent tout à la fois, le chorégraphe Thierry Malandain, qui est directeur du festival et du Ballet de Biarritz, ne le bouscule pas trop, ce public. Ce n’est pas dans son tempérament d’ailleurs. Lui-même est un néo-classique.
Ses productions, ni passéistes, et moins encore outrageusement modernes, correspondent aux goûts des spectateurs et à l’image qu’ils se font de la danse, et ses choix de programmateur en sont le miroir.
Ici pas de bataille d’Hernani. On vit dans le consensus et en définitive ce n’est pas plus mal… quand les œuvres présentées sont de qualité, ce qui n’est bien évidemment pas toujours le cas.
Suite en blanc
Alors que la plupart des directeurs de festivals se croiraient déshonorés en n’invitant pas la tendance la plus déglinguée du moment, le truc le plus abscons possible, on a fait de Biarritz la dernier coin de France où l’on ose afficher son goût pour une esthétique qu’ailleurs on juge, sans nuance aucune, mais parfois aussi à juste titre, désuète, sinon carrément "ringarde".
La venue prochaine du Ballet de l’Opéra de Paris en octobre avec, entre autres, "Suite en blanc" de Serge Lifar, superbe composition académique réglée avec esprit sur des pages de Lalo, comblera les vœux des populations durant trois représentations.
Ce sont d’ailleurs les seules, ce qui est extrêmement fâcheux, que le Ballet de l’Opéra de Paris proposera aux Français en dehors de la capitale, chose qu’à juste titre déplore Thierry Malandain qui constate que le public français perd peu à peu le souvenir du grand répertoire classique et néo-classique, faute de pouvoir l’admirer en dehors de la capitale ou à l’occasion de rares tournées de compagnies étrangères.
L’intolérance change de camp
Avec sagesse, Thierry Malandain, qui n’est pas un passéiste pour autant, et encore moins un sectaire, plaide pour un paysage chorégraphique français où cohabiteraient harmonieusement danse contemporaine et danse classique et néo-classique.
Il fut un temps où la sottise et l’arrogance des tenants de la danse classique vouaient toute forme nouvelle aux gémonies. L’intolérance, l’aveuglement, comme l’académisme, ont aujourd’hui changé de camp. Il n’est pas sujet plus borné, plus sectaire que ce petit monde médiocre qui ne jure désormais que par la "création" contemporaine, faute de connaître autre chose, et qui est trop sot et trop ignorant pour réaliser qu’il est à son tour tombé dans un conformisme désolant.
Programmateurs de théâtres, de festivals, artistes au petit pied, et à leur tête les esprits étroits du ministère de la Culture, beaucoup sont tombés dans le panneau, bien trop communs, bien trop dépourvus de jugement personnel pour comprendre que l’excellence artistique existe dans tous les camps, et pour savoir exercer leur jugement hors des modes du moment.
Caricatural
Comment expliquer autrement que par la sottise, le sectarisme et l’aveuglement qu’une excellente troupe de danse traditionnelle basque ne reçoive pas un traître sou de subvention des pouvoirs publics, quand un médiocre, auréolé du statut de "chorégraphe contemporain", soit, lui, doté d’aides publiques et invité à l’envi dans les théâtres dont la seule politique est bien souvent de ne programmer… que ce que programment les autres.
On a découvert à Biarritz un exemple parfaitement caricatural de ce sectarisme dont sont responsables la plupart de ceux qui décident de ce qui doit être vu, de ce qui doit être considéré, c’est-à-dire honoré par des subventions, et ce qui est à dédaigner.
Maritzuli
Avec des costumes d’une qualité remarquable, mais beaucoup plus important encore, dotée d’une richesse de répertoire chorégraphique que nous ne soupçonnons pas, puisque nous sommes au fond tenus dans l’ignorance, la troupe de danseurs basques "Maritzuli", invitée et soutenue par le festival, se débat dans des difficultés considérables parce qu’elle ne reçoit aucun soutien financier public.
Or, elle maintient vivant un superbe patrimoine, chose essentielle dans un pays où presque tout est désormais dévolu à la création. Et elle le maintient avec intelligence et qualité comme dans ce spectacle titré "Aurrez Aurre" ("face à face" en basque) où Claude Iruretagoyena souligne les liens qu’on croit pouvoir déceler entre les danses de la Renaissance italienne et celles toujours en vigueur dans les provinces basques. Ce patrimoine basque est aussi celui de toute la nation française, celui de l’ensemble de l’humanité.
Au raz du bitume
La veille, un danseur sans grande envergure, mais jouissant d’une faveur inexplicable, si l’on considère ses productions, fort décevantes, présentait une pièce d’une futilité consternante. "Asphalte" est un patchwork sans distance, sans esprit, où sont ramassées des figures de jeu vidéo, une gestuelle de dessin animé et de danse hip hop, des niaiseries d’un infantilisme qui fait peine à voir. Bref, un divertissement d’adolescent attardé qui arrive à point nommé pour satisfaire un public de collégiens qui n’auraient pour références esthétiques que les émissions de variétés de la télévision.
Car il va sans dire que cet exemple parfait de la médiocrité ambiante a reçu un accueil chaleureux, puisque les publics sont désormais formatés pour recevoir ce qu’on leur présente.
Mais l’auteur d’"Asphalte", Pierre Rigal pour ne pas le nommer, est titré "chorégraphe contemporain"… même s’il n’y a dans ses spectacles rien qui puisse être dignement baptisé chorégraphie et qu’il n’y a de contemporain que l’indigence intellectuelle dans laquelle baigne sa production.
De Java à Bayonne
C’est la grande leçon à tirer de ce festival dont rien par ailleurs de ce que nous y avons vu n’était éblouissant.
Nous, Français, qui nous pâmons à juste titre devant les danses des cours royales de Java, du Cambodge ou de Thaïlande, exemples de raffinement suprême, ou devant la richesse des danses indiennes, qui filmons, pour en préserver la mémoire, les danses ancestrales africaines, comment sommes nous assez aveugles, quand notre propre patrimoine dansé le justifie, pour ne pas soutenir ceux qui le sauvegardent avec intelligence et avec goût ?
Sans sombrer dans la terrifiante idéologie folkloriste des dictatures communistes, qui ont réussi à tout jamais à dégoûter du "folklore" populaire, il faut regarder avec intérêt, sinon avec passion, des formes qui ont des siècles d’âge et qui, respectées, et non prostituées en tant que divertissements de masse ou productions touristiques, offrent un formidable regard sur le passé et appartiennent à l’extraordinaire variété des formes dansées conçues par le génie humain.
Et pourquoi devons-nous être dotés de pouvoirs publics assez stupides, de programmateurs assez médiocres pour ne pas réaliser que ce qui est labellisé "danse contemporaine" est devenu souvent aussi académique, aussi creux et aussi futile que les pires productions "classiques" qu’on a combattu naguère avec acharnement ?
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