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Beau comme un bleu de travail
Pas à pas jusquau dernier / Cie Androphyne. Pierre-Johan Suc
Quil est difficile dêtre performer Avec Pas à pas jusquaux derniers la Compagnie Androphyne, mélangeait en effet la danse, le théâtre et les arts plastiques, en une proposition contemporaine. Pourquoi cette peur du mot ? Durant 50 minutes, une danseuse évolue dans un décor cartonné, lequel reconstitue sur scène un chantier aux airs furieusement seventies. Le chorégraphe est aux manettes dune régie son et lumière installée sur le plateau, aux côtés dun guitariste jouant en direct des riffs saturés, amplifiés façon sound system (En Jamaïque, la musique, cest le son, cest-à-dire les vibrations).
On pense aux Velvet Underground, à la factory dAndy Warroll, mais aussi aux performances de Yves Klein, linventeur du body art et dun bleu dûment breveté. Un spectacle plaisant et réjouissant. La danseuse porte un costume blanc dhomme et des chaussures bateaux. Elle sort dun carton roulé quon avait pris pour une colonne des décors, et qui va se révéler être son partenaire principal. Car la jeune femme est seule. Elle ne comprend pas pourquoi elle est catapultée dans ce quon devine être une sorte de fête underground. La danseuse ne danse pas. Si, elle danse. Mais en utilisant une gestuelle quotidienne. Clin d¦il à Billy Jean. Elle interpelle le public, cherche quelque chose. Senchaînent les séquences faussement improvisées. Des lumières vertes ou violettes clignotent. Le son monte et lassourdissement se fait rame de métro, ou bombardement. Puis, soudain, lactrice prend le micro. Dialogue à sens unique dune fille un peu soûle, abordant une autre personne, lentraînant à danser. Très beau texte. Le ton parodique laisse vite place à une comédie vibrante. On aimerait être abordé comme cela, ou avoir le courage de parler de cette manière. Puis ça repart. Danse, intervention du chorégraphe qui soulève la moquette en carton pour édifier une colline préfabriquée beige, bientôt maculée de peinture bleue. Hommage à Klein.
Et ça marche. Mais pas pour tout le monde. "Je ne sais pas quoi en penser". "Jai trouvé cela misérable, convenu" Ce qui pose une question très peu souvent évoquée en art : à quel moment joue-t-on le jeu ? Jeudi soir, cétait flagrant : les gens étaient hésitants, entre curiosité, agacement et relâchement Si lon prend un parti fonctionnaliste, toute ¦uvre est lobjet dun contrat tacite entre un émetteur (lartiste) et un récepteur (le public). Un système de codes culturels permet aux gens de profiter, et de juger de leur plaisir esthétique. Or, lart contemporain tend à vouloir se passer de contrat, comme un retour aux sources du troc et de la palabre. Cherche-t-il le bâton pour se faire battre ? Dautant que le problème se double dune tendance complaisante, au sein du spectacle vivant. Beaucoup de structures tentent le coup double de passer pour avant-gardiste tout en réduisant leurs frais (quatre personnes, peu de matériel, quelle aubaine, cest autre chose que le Ballet de Nice). Avec le risque de programmer des compagnies un peu légères, de celles qui masquent leurs limites en parlant de liberté ou de " pluridisciplinarité ", pour le plus grand bonheur des festivals dart de la rue, par exemple.
Rien de tout cela ici. Pierre-Johannn Suc et Carole Bonneau ont été formés au Centre national de danse contemporaine dAngers. Leurs choix artistiques sont dictés par le désir. Certes, rien de révolutionnaire, mais le spectacle évite les écueils du genre, à savoir lessoufflement, lallégorie, la pesante gravité, lironie facile... La scénographie est pertinente, lambiance sonore réussie. Très simple et beau moment de spectacle.
Julien LACOSTE
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