Edukira salto egin | Salto egin nabigazioara

Tresna pertsonalak
Hemen zaude: Hasiera Hemeroteka “L’Afrique unit par la danse”

Dokumentuaren akzioak

“L’Afrique unit par la danse”

Entretien avec Germaine Acogny / Danseuse-chorégraphe et directrice artistique de l’Ecole des sables

Egilea
Cyrielle Balerdi
Komunikabidea
Le journal du Pays Basque
Mota
Elkarrizketa
Data
2011/07/22
Lotura
Le journal du Pays Basque

Comment s’est passée votre rencontre avec le festival Errobiko Festibala ?

Anne-Marie Reynaud, une amie très chère, ma “sœur”, aujourd’hui décédée, était responsable de la pédagogie au Centre national de la danse de Paris. Quand le projet Songook Yaakaar (“Affronter l’espoir”, en wolof) est né, en hommage aux gens qui prennent les pirogues et affrontent leur espoir, elle a téléphoné à Beñat pour lui dire simplement : “Voilà, la nouvelle création de Germaine doit être jouée”. Et puis je suis venue danser Fagaala, au Temps d’aimer à Biarritz. C’était la première fois que ce spectacle sur le génocide du Rwanda était joué dans l’Hexagone. On n’a pu s’exprimer sur ce génocide pour lequel la France à une petite part de responsabilité, je pense (comme l’ensemble de la communauté internationale), même si chaque peuple dispose de lui-même. Bref, la rencontre avec Beñat à ce moment-là a été un émerveillement.

Pouvez-vous nous raconter comment est né Songook Yaakaar, la pièce que vous allez présenter ce soir ?

Le titre signifie “Affronter l’espoir”. Je me suis inspirée des mass media mais aussi des rencontres entre les gens. J’ai décidé de répliquer à ceux qui parlent de l’Afrique à tort et à travers, en ayant recours à une coutume vivante de l’Afrique de l’Ouest, “la parenté à plaisanterie” [tradition consistant à faire semblant de créer un conflit avec le représentant d’une ethnie alliée. Ce pacte permet aux protagonistes de se railler et de se bousculer à l’envi, de se moquer de soi-même sans épargner les autres, ndlr]. C’est une manière détournée de faire passer mon message, de parler de choses vraies, parfois très graves. Dans cette pièce, je me sers aussi bien de mes dons de comédie que je transpose en danse, que de ma voix ou de la vidéo. J’utilise absolument tout ce que j’ai à disposition pour exprimer ce que j’ai à dire. Aujourd’hui, j’ai 67 ans. En Afrique, il existe ce qu’on appelle les “classes d’âge”. On dit qu’à partir de 63 ans, on a l’âge pour prendre la parole et enseigner. C’est ce que je fais. Je dialogue avec ma voix et mon corps pour dire ce qui va ou non dans mon pays. Je m’en sers pour m’adresser aux dirigeants et à la jeunesse. Je leur dis que l’avenir est en Afrique. Sinon, pourquoi le monde entier se bousculerait à nos portes ? Ceux qui ferment leurs frontières sont les mêmes qui viennent nous piller. Les miettes que viennent ramasser les gens dans les pirogues ne sont rien en comparaison de la richesse dont nous sommes dépossédés… Parce que nos dirigeants le permettent. En sens inverse, de nombreux retraités européens viennent vivre leurs vieux jours chez nous, mais on ne les met pas à la porte ! Je ne m’imagine pas, moi, une vieille négresse, vivre en France. Je n’aurais pas l’argent pour me payer une maison de retraite. Et puis chez nous, nous avons les moyens d’avoir quelqu’un à la maison pour prendre soin de nous.

Vous êtes une artiste engagée… D’où viennent vos convictions ?

J’ai une double nationalité. Je suis sénégalaise-française, née au Bénin. Et j’ai épousé un Allemand. Pour moi, l’identité, c’est l’internationalité. Je me révèle à travers les autres et je crois que seul le respect des cultures et des appartenances pourra faire reculer le racisme.

Que signifie la danse pour votre pays et votre continent ?

On entend souvent dire que nous avons “la danse dans le sang”. C’est tout simplement du racisme. Un Congolais n’a pas du tout les mêmes rythmes que moi. Peut-être que nous savons “bouger”. Mais la danse traditionnelle est une technique qui s’apprend. Je me suis toujours battue pour que la danse soit considérée comme un métier. Quel que soit le style, urbain, moderne, ou contemporain, quand elle est bien, la danse devient à mon sens le plus grand des outils de communication et d’éducation. Tout le monde, de l’étranger à l’illettré, comprend le langage du corps. Pour moi, la danse est une arme pacifique. Les politiques n’ont pas réussi à réunir l’Afrique. Nous, nous y arrivons par la danse au travers du Centre international des danses traditionnelles et contemporaines d’Afrique, l’Ecole des sables, que j’ai fondée en 1996 à Toubab Dialaw au Sénégal, et qui est devenue la “maison mère” de la danse africaine. C’est aussi un lieu “sans frontières” de rencontres pour les danseurs du monde entier où ils peuvent étudier et échanger leurs cultures.

Selon vous, l’environnement façonne-t-il l’identité (artistique) ?

Bien sûr. L’environnement façonne les personnes. Les danses traditionnelles ou patrimoniales ont été clairement inspirées par notre environnement, de la même façon qu’aujourd’hui, la danse urbaine est façonnée par les immeubles, les trottoirs et les parvis. Nous nous inspirons tous de ce qui nous entoure. Quand je fais une création, je suis très inspirée par la littérature, mais je me nourris aussi de mes rencontres et des spectateurs, qui vont comprendre l’œuvre selon leur propre environnement et vécu. Mon environnement, je l’ai créé dans mon village de pêcheur, entourée de Fabrice Bouillon-Laforest (musique originale), Fred Koenig (création vidéo) et Bernard Mounier (texte), Français qui ont aussi leur propre regard sur la “mise en panier” des Africains pour les reconduire à la frontière.

On vous surnomme parfois la Béjart africaine…

Les gens ont toujours besoin de se raccrocher à quelque chose qu’ils connaissent. Cela étant dit, ça ne m’ennuie pas. Ma rencontre avec Maurice Béjart a été fusionnelle. Il disait que j’étais sa “fille noire” (il avait un quart de sang sénégalais). Moi, je crois, comme Cocteau l’affirmait, que “le hasard, est la forme que prend Dieu pour passer incognito”. Aujourd’hui, je perpétue le travail que Maurice Béjart avait entrepris en créant l’école Mudra Afrique en 1977. “Elle fera ce que je veux, mais différemment de moi”, avait-il dit. Vingt ans plus tard, j’ouvrais l’Ecole des sables avec mon mari. Notre credo ? L’éducation par la danse, porteuse d’espoir.

On parle de “danse contemporaine africaine”. Y a-t-il des spécificités ?

Demandez-leur qu’est-ce que la danse contemporaine européenne. On peut ajouter “africaine”, mais ma couleur est là, c’est inutile ! Je pense qu’il faut devenir spécifique. Quand on est spécifique, on devient universel. Après, il existe effectivement une esthétique nègre. Dans ma technique de danse, j’utilise le buste pour me démarquer, une spécificité propre aux danses traditionnelles ou patrimoniales. C’est notre base de travail, comme vous, le classique. Ensuite, on les transforme dans le “temps” et dans “l’espace”.

Transmettre est essentiel pour vous ?

Le dialogue entre les générations est primordial. Si on ne transmet pas à la jeunesse, ils n’auront plus de racines. Je crois à l’adage : “Si l’on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où l’on va”.

Comment êtes-vous devenue danseuse puis chorégraphe ?

J’ai appris petite par immersion, en regardant mes aînés. Puis, à 19 ans, j’ai décidé d’en faire quelque chose de professionnel. Mais il n’existait pas de professeur de danse. J’ai dû faire sciences de l’éducation physique et sportive ! Après, j’ai appris la rigueur. Danser et en faire son métier sont deux choses totalement différentes… Quant à la chorégraphie, j’y suis venue par obligation. J’ai lu un poème du président Senghor (1966-1967), Femme nue, femme noire. Une révélation. Ce fut mon premier solo, une nouveauté au Sénégal où la danse n’existait qu’en groupe.

p010_ph01_23311.jpg

Dokumentuaren akzioak